Résumé de mon mémoire: L'accueil bénévole en famille de jeunes migrant.e.s sous le prisme du care
- marialegall85
- 19 avr. 2023
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 23 avr. 2023
Dans le cadre d’une reprise d’études en master de sociolinguistique à l’Université Rennes II, je me suis intéressée à l’accueil en familles bénévoles de jeunes migrant.e.s non reconnu.e.s MNA. L’État français ayant signé la convention internationale des droits de l’enfant, il s’engage à protéger tout.e mineur.e qui se trouve sur son territoire, sans distinction aucune. Or, une partie (environ la moitié) des mineur.e.s migrant.e.s arrivant en France sont exclu.e.s du dispositif de prise en charge à l’issue d’une procédure d’évaluation lors de laquelle leur minorité est rejetée. Ces jeunes peuvent alors se tourner vers des associations qui les aident dans les démarches administratives, l’apprentissage du français pour les non francophones, et qui leur proposent des solutions de logement. C’est le cas de l’association dans laquelle s’est déroulée mon enquête.
Je me suis intéressée à la relation qui se crée entre jeunes accueilli.e.s et accueillant.e.s, en cherchant à savoir quelles étaient les réussites et les difficultés de ce type d’accueil. Pour ce faire, j’ai mis en place une démarche d'enquête combinant entretiens, temps d’observation et la recherche de données. J'ai commencé par quelques entretiens avec des familles accueillantes puis les temps d’observation participante m’ont permis de faire connaissance avec des membres et bénévoles de l’association et avec des jeunes accueilli.e.s. Il me paraissait en effet nécessaire de demander aux jeunes leurs témoignages au sujet de l’accueil, mais cette demande me semblait très délicate du fait de la précarité de leur situation et de l’asymétrie de la relation. Cela me questionnait également sur le plan éthique: comment demander à des jeunes sans papiers de m’aider dans mon projet sans leur apporter d’aide en retour ? Il ne me semblait pas envisageable de leur demander des entretiens semi-directifs comme je l’avais fait avec les familles. J’ai alors mis en place plusieurs démarches pour essayer de créer un lien et une relation de confiance avant toute chose, et afin « d’apporter » à la fois aux jeunes et à l’association. J’ai proposé des ateliers autour des langues des jeunes et un atelier sur le thème de l’accueil. J’ai finalement eu trois témoignages d'accueillis.
Les entretiens avec les familles m’ont rapidement orientée vers le care qui m’a servi de cadre théorique pour cette étude. La relation d’accueil est en effet une relation d’aide entre une personne aidée qui se trouve dans l’impossibilité de pourvoir à ses besoins (pour des relations administratives dans le cas présent) et une personne aidante qui se sent concernée par cette situation et qui décide d’agir pour apporter des solutions. Il s’agit donc d’une relation basée sur la solidarité, sur le désir d’aider l’autre, mais qui n’est pas exempte de difficultés et de dangers du fait de l’asymétrie de la relation.
Lors des entretiens, les familles ont mis en avant l’importance du lien, l’enthousiasme et la joie que génère cette relation qui semble très forte. A l’inverse, pour ce qui est des situations d’accueil plus compliquées, la difficulté à créer du lien ou la rupture de ce lien peuvent générer de la souffrance et des questionnements chez les accueillant.e.s, voire un sentiment de culpabilité. Les familles ont également fait part de questionnements autour de leur rôle et des difficultés que représente cet engagement au niveau matériel, avec un besoin de « souffler » et de se retrouver. On est là face à une des difficultés inhérentes au care, à savoir qu’il s’agit d’activités liées à la vie quotidienne et qui se répètent sans fin. Bien que peu nombreux, les retours des jeunes ont été très importants car ils ont permis d’éclairer la situation d’accueil et les difficultés depuis un autre angle. Ils ont relaté avant tout des difficultés liées à l’interculturel, avec parfois des malentendus, une incompréhension des demandes ou une difficulté voire une impossibilité d’y répondre. Ils ont également fait part des difficultés liées à l’organisation de l’accueil, ce qui entre en résonance avec les propos des familles. Enfin, il est important de noter qu’ils ne se sentent pas toujours en capacité d’exprimer des désaccords du fait de l’asymétrie de la relation d’accueil et de la précarité de leur situation. Pour finir, les temps d’entretien et d’observation ont également permis de mettre en avant une certaine difficulté à dire les situations d’accueil compliquées, de peur de décourager de potentiels accueillant.e.s, et ce d’autant plus dans un contexte de besoins importants de familles d’accueil.
Cette enquête à donc mis en avant plusieurs difficultés, liées aux relations de care d’une part et à la vision de l’interculturel d’autre part. La première est d’ordre matérielle et liée au type d’accueil qui est proposé. Un accueil familial implique une forte charge de travail pour les accueillant.e.s qui ont donc besoin de passer le relai. Or le changement fréquent de familles représente une difficulté supplémentaire pour les jeunes. Il peut alors exister un confit entre les besoins des accueillant.e.s et ceux des accueilli.e.s qui semble impossible à résoudre, à moins de passer à un type d’accueil moins engageant. Cependant, les difficultés matérielles de l’accueil ne sont pas l’élément le plus important ni dans le discours des familles, ni dans celui des jeunes. Il me semble que la difficulté principale réside dans la définition des besoins. En effet, une relation de care est une relation dans laquelle une personne décide de pourvoir aux besoins d’une autre qui ne peut pas le faire. Il est donc nécessaire de bien définir les besoins, or cette définition n’est pas si simple, notamment en situation interculturelle1. En effet, si les besoins primaires des humains sont universels, la réponse à y apporter est définie culturellement. Nous pouvons donc interpréter les besoins de personnes et y apporter une réponse depuis notre propre grille de lecture culturelle qui ne sera pas forcément la même que celle des personnes aidées (1). Face à cette difficulté, il est nécessaire d’intégrer la personne réceptrice de care au processus, ici la personne accueillie, afin de s’assurer que la réponse apportée aux besoins est satisfaisante (2). Il s’agit donc de chercher à faire advenir une parole et un point de vue minoritaire et de les prendre en considération pour aller vers un accompagnement le plus adapté possible aux besoins. Cette tâche est doublement compliquée: à la fois par la relation de pouvoir en jeu et par l’aspect interculturel de la relation d’accueil. En effet, les jeunes accueilli.e.s peuvent ne pas se sentir en mesure d’exprimer une opinion qui pourrait être jugée comme étant défavorable. Il me semble donc important de multiplier les possibilités d’expression pour les jeunes.
En parallèle à cela, il me semble important d’informer les familles sur la rencontre et la communication interculturelles qui doit être vue comme un processus qui implique une évolution progressive et non linéaire. Ce processus interculturel, parfois appelé interculturation, engage une transformation de la personne dans sa vision du monde, ce qui peut générer une perte de repère, des difficultés et parfois des résistances au changement. Le processus de rencontre interculturelle a donc à la fois un pôle positif et un pôle négatif, et il est nécessaire de rappeler que les malentendus et les incompréhensions sont inévitables, d'autant plus qu'il est très compliqué pour une personne qui baigne dans son milieu culturel de se rendre compte du fait que ce qui semble évident ne l’est pas. De plus, la communication ne se limite pas uniquement au fait d'émettre et d’interpréter des messages oraux mais elle repose également sur l’interprétation de signaux émis de façon consciente et non consciente...et chaque groupe possède ses propres codes. Cette vision de la rencontre interculturelle comme un processus et non comme l’aboutissement réussi de ce processus aiderait les accueillant.e.s à prendre du recul face aux difficultés de communication et à ne pas se sentir coupables, tout en permettant de rappeler l’importance de la bienveillance, de la compréhension, de l’encouragement, et l’inutilité de l’autoritarisme, de la coercition ou de la dévalorisation dans un tel processus de changement.
Pour conclure ce résumé de mon travail d’enquête, je souhaite remercier chaleureusement l’association, les accueillant.e.s et les jeunes qui ont accepté de témoigner, les bénévoles et élèves des cours ainsi que toutes les personnes de l’association avec qui j’ai pu échanger de façon plus ou moins régulière. Tous ces échanges ont permis à ce travail de voir le jour, j’espère sincèrement qu’il sera utile à l’association.
1- Sans oublier qu’au delà des différences culturelles, les parcours et le projets migratoires sont très divers et impliquent des besoins et des attentes différentes d’un.e jeune à l’autre.
2- Je renvoie ici à la lecture de : « Un monde vulnérable : Pour une politique du care », Joan Tronto, 2015.
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