Pourquoi le conflit autour des bassines?
- marialegall85
- 23 mai 2023
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 28 mai 2023

Cet article me tient à coeur car c'est après la manifestation de Sainte Soline du 25 mars dernier que je me suis décidée à me lancer pour de bon dans ce projet de blog. Depuis un moment déjà, je cherchais comment agir pour l’écologie, mais ma situation de mère seule me limite. Je ne peux pas prendre de risques et on a malheureusement vu avec Sainte Soline que lutter pour l’eau peut vouloir dire mettre son corps en danger. Cette violence de l’État, puis les accusations en écoterrorisme de Darmanin et les menaces de dissolution des Soulèvements de la Terre, ont été les éléments déclencheurs car le sentiment d'impuissance était vraiment trop lourd… et puisque je ne peux pas manifester ou désobéir, je vais essayer d’expliquer ce qui se joue autour des bassines, car c’est central et révélateur d’un gros problème démocratique.
D’abord il faut poser le contexte: On est à peu près toutes et tous consciente.s du réchauffement / dérèglement climatiques et de ses conséquences, puisqu’elles font désormais partie de nos vies, même sous nos latitudes qui étaient épargnées jusque là. Les étés sont de plus en plus chauds, les canicules de plus en plus fréquentes et on a vécu l’été dernier une sécheresse terrible. Il n’a pas suffisamment plu cet hiver, les nappes phréatiques ne se sont pas rechargées, certaines régions sont encore en état de sécheresse et pire encore, certains villages des Pyrénées orientales n’avaient déjà plus d’eau….en AVRIL !
On connaît également les causes du réchauffement climatique, à savoir l’activité humaine. Et pour ce qui est du manque d’eau : le manque de pluie bien sûr, mais un manque de pluie qui affecte des nappes phréatiques déjà mises à mal par l’activité humaine encore une fois, et en particulier par le modèle agricole dominant, l’agriculture intensive. En effet, ce modèle d’agriculture utilise énormément d’eau et abîme des sols qui, à force de pesticides et d’engrais chimiques, perdent leur capacité à stocker l’eau. J’ai fait Rennes-Zurich en train un été et j’ai vu un paysage composé essentiellement de champs de maïs arrosés en pleine journée. On fait donc pousser du maïs, une plante tropicale qui a besoin de beaucoup d’eau, on l’arrose en journée (bonjour l’évaporation) et le tout pour quoi ? Pour alimenter des humains ? Hum pas forcément… principalement pour nourrir des animaux d’élevage… que nous finirons par manger (en partie puisqu’un tiers de la nourriture produite est gaspillée)1. Toute cette eau pour ça !
Face aux sécheresses et aux arrêtés préfectoraux, le syndicat agricole majoritaire (FNSEA) et l’État pourraient dire «ok les gars, on arrête le massacre et on fait pousser des trucs qui demandent moins d’eau et qui nourrissent les gens. Et au passage on vous soutient financièrement pour faire cette transition». Ça, ce serait d’adapter au changement climatique,… mais NON, bien au contraire, le projet qui a été choisi et qui est mis en œuvre (sans nous demander à aucun moment notre avis soit dit en passant) est exactement l’INVERSE: j’ai nommé les «méga bassines», également appelées «réserves de substitution», ce qui fait beaucoup moins forces du mal, vous en conviendrez.
C’est quoi les méga bassines ?
Ce n’est ni plus ni moins qu’un immense TROU dans le sol, plastifié et imperméabilisé, qui sert à stocker l’eau. Certain·e·s veulent faire croire qu’elles ne font que stocker l’eau de pluie mais c’est faux et de toute façon, même ça, ça peut poser problème...mais j’y reviendrai plus loin. Ces méga bassines sont donc équipées d’une pompe qui, comme son nom l’indique, sert à pomper l’eau des nappes phréatiques en hiver... quand il n’y a pas d’arrêtés préfectoraux qui interdisent de le faire. Cette eau est ensuite stockée dans les bassines pour être utilisée l’été, quand le pompage n’est plus possible à cause de la sécheresse. L’eau est donc stockée à l’air libre, ce qui est une drôle d’idée du fait de l’évaporation mais aussi de la qualité de l’eau stockée ainsi (je ne sais pas ce que vous en pensez mais, personnellement, l’eau stagnante me donne très peu envie de boire).
Tout cela pose problème pour plein de raisons :
D’une part, car il s’agit de l’accaparement de l’eau, qui est un bien commun2, par un nombre très réduit d’agriculteurs (6 pour cent dans les Deux-Sèvres) qui, par ailleurs, ne sont pas les maraîchers à qui vous achetez vos légumes au marché. Il y a donc un conflit entre l’intérêt public et les intérêts privés. Le tout sans aucun débat public, mais financé à 60 pour cent par de l’argent... public. D’ailleurs, la construction d’une bassine coûte cher… donc ceux qui en construisent sont ceux qui s’en sortent le mieux.
D’autre part, cette eau stockée dans les bassines ne va pas nourrir les écosystèmes. Or, si on veut de la pluie, il faut laisser l’eau entrer dans les sols, c’est le petit cycle de l’eau, que j’ai découvert dans un super entretien avec une hydrologue, publié dans Mediapart l’été dernier (et qui est en bibliographie à la fin du texte). Emma Haziza y explique que pour qu’il pleuve, il faut restaurer les sols abîmés par l’agriculture intensive et les zones humides qui ont été largement asséchées3. Pourquoi ? Parce qu’une partie des pluies vient de la terre : quand il pleut, la terre absorbe l’eau, la végétation transpire et crée d’autres pluies. Donc, comme elle le dit dans l’entretien, «les pluies qui tombent à Brest permettent d’avoir des pluies à Strasbourg». Et de toute façon, un écosystème sans eau est un écosystème qui meurt ; et si les écosystèmes meurent, nous finirons par mourir nous aussi car nous ne sommes pas extérieurs à la nature : nous en faisons partie.
Enfin, le positionnement de l’État est très problématique, puisqu’il fait le choix de la défense des intérêts économiques privés face au bien commun et qu’il refuse le débat. On assiste à une stratégie de criminalisation du mouvement d’opposition aux bassines, du mouvement écologiste militant en général et même des associations de défense des droits de l’homme, le tout afin de délégitimer tout récit alternatif au discours officiel....
Pour conclure, je tiens à préciser un élément important : Je connais personnellement le milieu agricole, je comprends les difficultés des agriculteur·rice·s et les pressions qu’ils et elles subissent. Je pense que ce sont les premières victimes du modèle agro-industriel (même si certain·e·s le soutiennent bec et ongles !), que ce soit par l’étranglement financier dans lequel ils·elles se trouvent pour beaucoup et à cause des problèmes de santé dus à l’utilisation de pesticides. Il s’agit donc de remettre en question le modèle qui à mes yeux les étrangle, ce même modèle qui épuise les ressources et pollue les écosystèmes, et non pas de les remettre en question individuellement. Il est nécessaire que les citoyen·ne·s se saisissent de ces sujets car ils nous concernent toutes et tous: Quel modèle agricole décidons-nous de soutenir? Comment partager l’eau puisqu’elle va se raréfier? Et quand nous réfléchissons à l’utilisation de l’eau, il faut considérer les écosystèmes comme devant être pris en considération dans un partage équitable…. Sans cela il me semble que nous n’avons rien compris!
Si le sujet vous intéresse et que vous voulez creuser :
Greenpeace a fait une fiche thématique très claire sur le sujet : https://www.greenpeace.fr/fiche-thematique-megabassines/
Sur le petit cycle de l’eau et ce qu’il faut faire pour combattre la sécheresse : https://www.mediapart.fr/journal/france/060822/emma-haziza-cette-secheresse-nous-oblige-reflechir-nos-usages-de-l-eau
Sur le combat contre les bassines vu depuis une perspective plus globale d’opposition entre des rapports au monde différents :
Une longue interview d’Ema Haziza sur Thinkerview :
Un résumé très bien fait et très complet sur les bassines et la manif de Sainte Soline :
Enfin je vous conseille le magnifique documentaire en trois parties « L’eau, la vie et nous » sur arte TV (et aussi sur youtube): https://www.youtube.com/watch?v=YAYWngZ20kA
1- Sans oublier que de façon générale nous mangeons trop de viande par rapport à nos besoins physiologiques.
2- Je n’utilise pas le terme ressource à dessein car je le trouve représentatif d’un rapport au monde dans lequel l’homme considère la nature comme « une ressource à exploiter » pour son intérêt propre. Et c’est justement ce rapport au monde qui doit être remis en question si on veut donner une possibilité d’avenir aux générations qui nous suivent et au vivant en général.
3- Par l’homme et pour l’agriculture… il peut être bon de le préciser.
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