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Les gros mots: La communication interculturelle (première partie)

  • marialegall85
  • 30 juin 2024
  • 8 min de lecture

J'avais envie de recommencer à écrire pour le blog depuis un moment sans en avoir le temps, puis les élections européennes sont passées par là, avec leurs résultats effrayants... et la réaction de Macron encore plus effrayante… et, tout comme l’année dernière après le choc de Saint Soline, écrire m’aide à faire face au sentiment d’impuissance. J’aurais aimé écrire un article sur le néolibéralisme (j’ai d’ailleurs un bouquin sur le feu depuis un moment à ce sujet) et sur l’imposture du RN à ce sujet, mais je n’ai pas eu le temps d’approfondir, donc ce sera pour plus tard et je vais me concentrer sur ce que j’ai déjà étudié. Aujourd’hui j’ai envie de parler d’interculturel, un concept qui semble si loin maintenant que les théories d’extrême droite reprennent du poil de la bête et que les migrations sont au centre du débat politique, alors même que le sujet est bien souvent tellement éloigné de la réalité quotidienne des gens qui en parlent. L'interculturel, en voilà un terme qui renvoie à des imaginaires bien contrastés: d’un côté un imaginaire très positif, voire angélique, de l’interculturel, et de l’autre un imaginaire basé sur le conflit et l’incompatibilité de certaines cultures, le fameux «choc des civilisations» de Samuel Huntington. Mais si on veut être un peu scientifiques, il faut d’abord savoir de quoi on parle, et avant de parler d’"inter-culturel", il faut que l’on précise ce qu’on entend par culture dans ce contexte.


 Si vous demandez la définition du terme culture autour de vous, vous aurez probablement plusieurs réponses: Certain·e·s vont vous parler de théâtre, cinéma, musique etc. Dans ce cas, on fait référence à l’art, aux connaissances, aux savoirs, et on peut entendre parler de «grande culture» ou de «culture(s) populaire(s)». Ce n’est pas de cette culture là dont on va parler, car c’est une définition trop réduite ici. On peut également faire référence à la culture dans sa dimension anthropologique, comme l’ensemble des phénomènes des sociétés humaines, par opposition à l’état de nature. Mais c’est, à l’inverse, beaucoup trop vaste (tout en étant un sujet passionnant par ailleurs!).


Ici, nous allons voir la culture comme une grille de lecture du monde, qui nous permet d’analyser et d’interpréter les comportements des autres acteurs sociaux et de construire notre propre comportement. Un peu comme des lunettes invisibles que nous porterions en permanence. Mais attention, tout cela reste encore trop simple, car la notion de culture n’est pas une notion figée, et il ne s’agit pas d’un tout homogène car, comme le dit Denys Cuche (je mets toutes les références en bibliographie) “Toute culture est un processus permanent de construction, déconstruction, reconstruction”. Et par ailleurs, histoire de simplifier encore un peu plus la chose, en tant qu’individus, nous n’avons pas une culture qui nous définirait une fois pour toutes, mais nous faisons partie de différents groupes culturels. Nous sommes tou·te·s complexes! On ne peut donc pas résumer les individus à leur culture, c’est de l’essentialisation et c’est beaucoup trop simpliste. Tous mes faits et gestes ne peuvent pas s’expliquer uniquement par le fait que je suis française, il y a beaucoup d’autres éléments à prendre en compte: d’une part la complexité de mes identités (ou de mes identifications, je préfère ce terme qui permet de montrer à quel point tout cela est souple) et d’autre part ma personnalité, mon histoire personnelle et familiale, ma classe sociale, mes valeurs, les rapports sociaux en jeu etc.!


Et pourtant, entendre dire «les …... (nationalité ou religion au choix) sont ……. (adjectif au choix)» est devenu presque banal, notamment pour qualifier les musulmans (qui pour rappel sont environ 1 milliard 800 millions...ce qui fait quand même pas mal de monde à mettre dans le même panier). La culture est devenu une façon déguisée de hiérarchiser et de rejeter l’autre. Difficile en effet de faire référence à la notion de race et d’inégalité biologique entre les êtres humains après le nazisme. Les théories sur l’inégalité des races, en vogue au XIXè siècle (et qui ont donné naissance au fascisme), ne sont plus acceptables aujourd’hui, on ne hiérarchise plus selon des critères biologiques, par contre, on va justifier le rejet de l’autre par des critères «culturels», par une «incompatibilité» des cultures. Tout cela mériterait d'être approfondi et il faudrait s’intéresser aux représentations de «l’autre», mais j’en parlerai dans le prochain article.


Maintenant, voyons comment définir la communication, puisque l’idée est de parler de communication interculturelle. Là encore, il pourrait y avoir plusieurs sens à ce terme, mais nous nous limiterons ici à la communication entre individus. Il s’agit d’un processus d’émission, de réception et d’interprétation de signaux. Ces signaux sont bien entendu verbaux mais ils ne se limitent pas à cela, ils peuvent aussi être para-verbaux (les expressions du visage, la gestuelle), psychologiques et culturels. Chaque individu, et chaque groupe, possède donc ses propres codes et les usages de ces codes. Autre élément à prendre en compte, les signaux émis sont intentionnels pour une part et non intentionnels pour une autre, et tous ces signaux sont perçus et interprétés par l’autre par des inférences (déductions et ressentis) qui intègrent le sens des énoncés linguistiques mais également l’ensemble des indices de contextualisation. Je tire cette définition du livre de Philippe Blanchet que vous trouverez en bibliographie.


La communication ne se limite donc pas au message verbal, mais elle prend également en compte des éléments non conscientisés, et c’est là que l'aspect interculturel de la relation peut compliquer la situation. En effet, puisqu'il s'agit d'une situation de communication qui réunit des individus de cultures différentes, chacun peut interpréter les signaux émis par l’autre depuis sa propre grille de lecture culturelle, ce qui peut générer des malentendus et des incompréhensions. Je peux par exemple entrer en communication avec une personne que je trouve parfaitement impolie, alors qu’elle considère de son côté interagir de façon correcte puisqu’elle est en accord avec les codes de politesse de sa propre culture. Pas besoin d’aller très loin pour ça: en Bretagne, les salutations ne sont pas les même que l’on soit bretonnant·e, gallèsien·ne ou francophone. Un·e francophone pourra trouver très impolie un·e bretonnant·e...tout simplement parce qu’on en dit pas «bonjour» en breton, on entre en contact différemment. Mais je reconnais quand même que cet exemple est un peu daté, car il est difficile aujourd’hui de ne pas avoir été imprégné des codes de la culture française/francophone.


Vu comme ça, la communication interculturelle semble être une sorte de nid à embrouilles, mais la bonne nouvelle c’est que ce n’est pas une situation figée mais un processus. La rencontre avec l’altérité implique un changement important dans son/ses identités/identifications, notamment pour les personnes qui arrivent dans un nouveau contexte culturel. Cependant, le processus de changement n’est pas linéaire, il peut y avoir des avancées, puis des résistances, des besoins de se sécuriser en retrouvant ses identifications (et sa langue!), puis une nouvelle envie de découvrir autre chose. En somme, c’est un processus, mais il ne faut pas s’attendre à une ligne droite qui irait d’un point A, qui serait l’absence de communication interculturelle, à un point B qui serait la compréhension de l’autre et la transformation intérieure. Autre point important à soulever: il n’y a pas que celui ou celle qui arrive qui se transforme car dans toute situation de communication nous sommes deux au minimum, et tou·te·s les participant·e·s sont confronté·e·s à l’altérité. On trouve beaucoup chez nous l’idée que c’est aux «autres» (j’entends par là les cultures minoritaires) de faire la démarche de venir vers «nous» et de s’adapter. Mais je peux moi aussi faire un pas vers l’autre pour favoriser la communication. En tout cas, personnellement, j’aurai beaucoup plus envie de communiquer avec des gens qui semblent avoir envie de le faire et de m’aider dans la démarche, qu’avec des gens qui ne font pas d’effort pour communiquer avec moi.


Comment faire pour éviter les malentendus? Ce n’est pas la peine d’accumuler le plus de connaissances possibles sur les cultures des personnes que l’on peut être amené·e à rencontrer. D’une part parce que c’est impossible, et d’autre part parce qu’il n’y a pas que la culture nationale qui entre en jeu comme nous l’avons vu. Ce qu’il faut, c’est être attentif·ve à ses ressentis, apprendre à se décentrer et à ne pas prendre les choses personnellement. Pourquoi être attentif·ve à ses propres ressentis ? Car ce sont les émotions que je ressens qui vont me dire qu’on touche à un élément de mes valeurs, à mon cadre de référence, et c’est à ce moment là qu’il faut essayer de ne pas prendre les choses personnellement. Pour en revenir à l’exemple de la communication avec une personne qui me semble parfaitement impolie, je vais être agacée ou en colère face à l’attitude de cette personne, car depuis ma propre grille de lecture, elle ne me respecte pas. Mais tout ce processus d’analyse et d’interprétation des signaux émis par l’autre n’est pas conscient. Par contre, c’est au moment où je ressens de l’agacement que je peux prendre conscience du fait qu’il se passe quelque chose pour moi, et c’est à ce moment là que je peux me dire que, peut-être que cette personne est parfaitement impolie, mais peut-être aussi que c’est une attitude normale pour elle. Il s'agit de laisser la place dans mon esprit au fait que nous n’avons pas les mêmes codes et que mon interprétation est peut-être erronée. Et à partir de là, on peut aussi tout simplement poser la question des codes de communication dans la culture de l’autre et expliquer les codes de communication ici, si la situation s’y prête, ou bien respirer et prendre du recul. Il faut de la bienveillance, à la fois envers l'autre et envers soi-même, car l'autoritarisme, la coercition et la dureté ne sont d'aucune efficacité pour qu'il y ait réellement une rencontre interculturelle dans la situation de communication. La communication interculturelle n'est donc ni impossible, ni le résultat harmonieux d'un processus, mais bien le processus en soi. Un processus particulièrement enthousiasmant, puisque c'est à travers la rencontre avec l'autre que j'apprends à me connaitre, à déconstruire les évidences et à découvrir d'autres façons d'être au monde. Bien entendu, même si la rencontre avec l'altérité me transforme, je ne suis pas obligée de tout accepter, mais je peux accepter la vision des choses que je découvre et découvrir par la même occasion que la mienne n'est pas universelle mais située. Comme nous le rappellent si justement Philippe Descola et Alessandro Pignocchi: "le monde est encore beaucoup plus divers que ce que son survol superficiel par le tourisme ou les mass-média permet de mesurer. " La rencontre avec d'autres façon de penser, d'agir et d'être au monde permet ainsi de voir qu'il existe d'autres possibles.


D'habitude j'aime bien illustrer mes articles avec de jolies photos, ou des photos marrantes, mais je suis prise par le temps car j'ai envie de publier cet article maintenant, puisque c'est maintenant qu'on doit voter pour élire nos député·e·s. Il est tout à fait incomplet, il reste à parler des représentations de "l'autre", du fonctionnement de notre cerveau qui a besoin de catégoriser pour apprendre, et des rapports de pouvoirs entre individus et entre groupes, qu'il ne faut pas oublier de prendre en compte. Je vais essayer d'écrire le prochain article assez rapidement, mais même si je traine un peu, il sera toujours temps de parler de la possibilité de la fraternité pour avoir un discours à opposer aux partisans de la discrimination et du rejet. D'ici là, je serais ravie d'avoir vos points de vue sur le sujet, vos expériences, vos doutes. L'idée du blog est de partager et d'échanger!



Références bibliographiques


Cuche Denys, 2016, La notion de culture dans les sciences sociales, 5e éd., Paris, la Découverte (coll.« Grands repères »).


Blanchet Philippe, 2012, La linguistique de terrain, méthode et théorie: une approche

ethnosociolinguistique de la complexité, Rennes (Ille-et-Vilaine), Presses universitaires de Rennes.


Descola, Philippe, et Alessandro Pignocchi. Ethnographies des mondes à venir. Anthropocène. Paris: Seuil, 2022.

1 Comment


Amosun Babalola
Amosun Babalola
Jul 05, 2024

"Tu" es (est) un autre "moi"

Bonne journée Maria!

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